Ukraine - Conférence de presse de M. François Hollande, président de la République, à l’occasion du Conseil européen (Bruxelles, 20/03/2014)

L’autre ordre du jour était lié à la situation grave que connait l’Ukraine et notamment les décisions qui ont été prises suite à la fausse consultation - ou, en tout cas, vrai référendum, mais fausse procédure - qui a été engagée en Crimée. L’Union européenne, il y a une dizaine de jours, avait posé un certain nombre de principes et avec une échelle de sanctions. Déjà certaines mesures avaient été prises, c’est ce qu’on appelait le niveau 1.

Il y avait lieu de prendre d’autres dispositions dès lors qu’il y a eu cet acte très grave qui a consisté à remettre en cause l’intégrité de l’Ukraine et d’avoir une procédure de rattachement de la Crimée à la Russie. Dès lors, l’Union européenne a décidé de porter au niveau 2 ses sanctions. Cela va concerner un certain nombre de personnalités quant aux visas et à leurs avoirs financiers. Il y aura 33 personnalités qui seront sur cette liste. Il y a aussi la volonté d’envoyer un signe clair à la Russie pour qu’elle comprenne qu’elle ne peut pas continuer. Et qu’elle doit trouver le chemin du dialogue. À cet égard, le sommet qui était prévu entre l’Union européenne et la Russie a été annulé, ainsi que les rencontres bilatérales, au niveau des États membres qui devaient avoir lieu ou qui pouvaient avoir lieu dans la même échelle de temps.

Il y a eu aussi la volonté de tout faire pour que l’OSCE puisse envoyer des observateurs en Ukraine avec un niveau d’effectifs suffisants pour évaluer la situation. C’est dans les jours prochains que cette mission doit être mise en place. S’il n’était pas possible pour des raisons de blocage de la partie russe de procéder à la mise en place de cette mission, alors ce serait l’Europe qui devrait s’y substituer.

Enfin, s’il devait y avoir de nouvelles décisions qui traduiraient une tension supplémentaire, une escalade, une déstabilisation de l’Ukraine, alors il a été demandé à la commission de préparer des mesures ciblées qui pourraient être la riposte à ce qui n’est pas souhaité, mais qui peut éventuellement se produire. Je dis « qui n’est pas souhaité » parce qu’il y a place pour le dialogue et pour la négociation. Mais il ne peut pas y avoir de la part de la Russie, l’idée qu’il serait possible de continuer à ne pas considérer l’Ukraine dans ses choix et dans sa volonté et de chercher à désorganiser le processus.

Quel est le processus ? C’est celui qui doit conduire à une élection présidentielle le 25 mai prochain. Tout doit être fait pour que cette élection soit transparente, libre et garantie par la présence, là aussi, d’observateurs internationaux.

Il y a aussi de la part de l’Europe la volonté d’aider l’Ukraine. Demain, il y aura la signature de la partie politique de l’accord d’association et très rapidement le volet commercial sera également mis en place. Il y a de la part de l’Union européenne la réaffirmation du soutien, de l’aide qui doit être apportée à ce pays qui souffre depuis déjà de longs mois, qui doit engager des réformes économiques importantes et qui doit également faire face à des échéances. Tout doit être fait, c’est-à-dire avec l’Union européenne mais aussi le Fonds monétaire international et l’ensemble du système financier international pour que l’Ukraine puisse répondre aux échéances qui sont devant elle.

Voilà l’essentiel du travail du Conseil européen, ce n’était pas si facile de parvenir à un accord unanime sur la riposte nécessaire, sur l’appréhension de la question de l’Ukraine, sur l’échelle de sanctions qui pourraient être décidées dès lors qu’il y aurait une escalade supplémentaire. Les 28 y sont parvenus avec les mêmes volonté et fermeté par rapport à des actes qui ne sont pas acceptables et qui ne sont d’ailleurs pas acceptés par la communauté internationale : la remise en cause des frontières, l’atteinte à l’intégrité territoriale et à la souveraineté d’un pays, l’organisation d’une consultation qui n’est pas légale, le rattachement d’une partie d’un territoire, celui de l’Ukraine et le rattachement à la Russie – quels que soient les liens qui existent, qui sont historiques, qui sont culturels, qui sont militaires entre la Crimée et la Russie.

Il y a eu cette unanimité face à cette situation aussi bien pour aider l’Ukraine, que pour définir cette échelle de sanctions, que pour chercher la voie du dialogue et l’envoi de cette mission de l’OSCE, et à défaut de l’Union européenne. Demain donc, je le rappelais, il y aura la signature officielle de l’accord d’association dans son volet politique. Je pense que c’est aussi la meilleure réponse que pouvait faire l’Union européenne à la fois pour montrer sa solidarité à l’égard de l’Ukraine et sa volonté de mettre un terme à cette tension qui maintenant a des conséquences sur l’ensemble de la vie internationale.

Q - Si j’ai bien compris, en ce qui concerne les sanctions, il y a donc 12 personnes supplémentaires, puisqu’il y en avait 21 au départ.

R - Oui.

Q - Est-ce que vous pouvez nous en dire un petit peu plus sur le profil de ces personnes ? Est-ce que ce sont des personnes qui sont un peu plus proches de Vladimir Poutine que dans la première liste de sanctions ? Merci, beaucoup.

R - Oui, la liste sera publiée demain. Elle est assez proche de celle que les États-Unis ont pu eux-mêmes établir. Elle concerne à la fois des personnalités ukrainiennes, qui ont pu jouer un rôle dans l’organisation de cette vraie/fausse consultation et des personnalités russes qui ont pu contribuer à la décision de rattacher la Crimée à la Russie.

(...)

Q - Sur l’Ukraine, pourquoi pas justement de phase 3 ? Des sanctions économiques plus fortes attendues après les actes d’annexions de la Crimée ? Et puis, deuxième question importante aussi, aux yeux du Premier ministre ukrainien que nous avons vu un peu plus tôt : il souhaite rejoindre l’Union européenne. Est-ce que vous reconnaissez, à terme, une vocation européenne à l’Ukraine ?

R - Il y a 10 jours, nous étions dans la phase 1 des sanctions. Nous sommes passés - compte-tenu de ce qui s’est produit notamment en Crimée - à la phase 2 avec une liste de personnalités qui ne pourront pas circuler comme elles l’entendent et des avoirs financiers qui seront également contrôlés. Il y a l’annulation du sommet entre l’Union européenne et la Russie. C’est la phase 2.

La phase 3 serait déclenchée, s’il y avait une nouvelle escalade. Pour la dissuader, pour l’éviter, pour la prévenir, il a été demandé à la Commission européenne de travailler sur des mesures ciblées qui pourraient d’ailleurs être elles-mêmes proportionnées à ce qui se produirait. Nous ne sommes pas encore dans cette phase 3 qui concernerait des secteurs économiques importants. La logique, qui avait été posée dès le Conseil européen d’il y a 10 jours, se trouve donc maintenant appliquée.

Sur la deuxième question, nous sommes pour l’instant dans l’association et encore la signature n’est que partielle. J’ai toujours considéré que l’Ukraine devait être associée à l’Union européenne, mais ne pouvait pas prétendre être membre de l’Union européenne.

Q - J’avais une question sur la mission de l’OSCE dont vous avez parlé. Vous avez dit « quelques jours ». Combien de temps vous vous donnez, puisqu’apparemment à Vienne, les Russes font traîner les choses, en inventant, à chaque fois de nouveaux prétextes, d’après ce que l’on a compris ? Quel sera l’objectif de cette mission de l’Union européenne, s’il y a lieu ? Est-ce que la France y participera ?

R - Deux questions en une. La première, quel délai donne-t-on à la recherche d’une mission OSCE ? Quelques jours. À défaut, s’il y avait blocage, il y aurait à ce moment-là une mission de l’Union européenne. Est-ce que la France y participerait ? Oui. D’ailleurs dans les deux cas !

L’objectif de la mission est d’avoir un certain niveau d’effectifs, d’abord en terme de moyens, pour prendre en compte ce qui se passe sur le territoire et pour porter une évaluation sur un certain nombre de groupes, de comportements, de situations, de manifestations..., de façon à ce que l’élection présidentielle - prévue le 25 mai et qui doit se tenir à cette date - puisse être libre, transparente et sous contrôle international.

Q - Je voulais savoir si l’Union européenne envisageait, comme l’ont fait les États-Unis, de sanctionner une banque ou des banques russes spécifiquement ? Celles qui sont proches du pouvoir russe ? Est-ce que c’est une option que vous avez prise ou que vous considérez ? Est-ce que vous êtes d’accord pour dire que l’Union européenne est restée en-deçà de ce qu’ont fait les États-Unis aujourd’hui contre la Russie ?

R - Pour la banque, il n’y a pas eu cette approche. Mais, comme je vous l’ai dit, deux décisions me paraissent très importantes. La première est sur les personnalités. Ce ne sont pas tout à fait les mêmes que celles de la liste dressée par les États-Unis. La seconde décision est l’annulation d’un certain nombre de rendez-vous internationaux - enfin européens pour ce qui concernait le sommet Russie/Union ; le G8 pourrait être transformé en un G7 - et la suspension aussi des sommets bilatéraux.
D’ailleurs, c’est ce qu’a fait la France, puisque vous savez que mardi, il devait y avoir une visite du ministre des affaires étrangères Laurent Fabius et du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian à Moscou. J’ai décidé qu’ils n’iraient pas. Ce qui a été fait par la France sera fait par les autres pays membres.

Je ne pense pas qu’on puisse faire des comparaisons « qui fait le plus, qui fait le moins ? » Ce qui compte, c’est l’efficacité, non pas pour créer une tension supplémentaire, mais pour que maintenant la voie du dialogue, de la négociation puisse être empruntée et que l’élection puisse avoir lieu en Ukraine, pour choisir un nouveau président.

Q - Sur la question de la liste des personnalités qui va être annoncée demain, est-ce que vous pouvez nous dire, si la liste européenne est comparable à la liste américaine, combien de personnes sur la liste américaine figurent également sur la liste européenne ? Y a-t-il des recoupements ?

R - Il y a des recoupements, je vous le confirme. Je n’ai pas fait la statistique, mais enfin c’est assez proche. Il y a eu l’ajout de 12 autres personnalités, en concertation d’ailleurs avec les Américains. Demain, la liste sera donc publiée. Je préfère qu’elle soit connue d’un bloc, pour qu’il n’y ait pas de notation individuelle et que tous les intéressés puissent être prévenus ensemble.

Q - Il y a de plus en plus de voix en Europe et en France, je pense notamment à M. Luc Ferry, qui considèrent que ces sanctions sont contreproductives. Finalement, on voit bien que Vladimir Poutine ne bouge pas. C’est un pouvoir fort, c’est un pouvoir autoritaire. On voit que vous renforcez le camp des nationalistes russes, qui sont en train de dire à l’Europe : « finalement, un jour, on pourra se passer de vous ». On voit bien que la phase 3, au-delà de la belle unanimité aujourd’hui, pourrait diviser profondément les États européens. Alors est-ce qu’avec le recul, vous n’êtes pas entraîné dans une espèce d’impasse ?

R - Mais que dirait-on si nous ne faisions rien ? Si face à un acte qui est contraire au droit international, il y avait une inertie de l’Europe ? Que diriez-vous d’ailleurs, vous, la presse qui nous suivez depuis longtemps et qui attendez beaucoup de l’Europe : qu’une fois encore, elle a été hésitante, lente, et incapable de prendre une décision puisque l’unanimité est quand même recherchée ?

Est-ce que ces sanctions sont efficaces ? D’abord, nous ne sommes qu’au début d’un processus qui peut ne pas connaître d’évolution si la voie de la discussion, de la négociation l’emporte. Mais à quel moment les sanctions pourront-elles être efficaces ? Si elles touchent des personnes qui sont tout à fait dans le cercle de la décision - sûrement - et si elles infligent un dommage économique qui créait pour la Russie une dissuasion pour aller plus loin.

Mais je l’ai dit aux collègues dans ce Conseil européen : pour qu’une sanction soit efficace, il faut qu’elle coûte à ceux qui la décident et à ceux qui la subissent. Il n’y a pas de sanction qui serait à ce point miraculeuse qu’elle serait décidée et qu’elle n’aurait qu’un coût que pour ceux qui en sont la cible. Non, cela n’existe pas. Il y a donc nécessairement un effort à faire. L’effort, on le voit bien, est d’aider l’Ukraine. L’effort peut être aussi de passer à une étape nouvelle de sanctions. Est-ce, qu’aujourd’hui, la dissuasion est militaire ? Personne n’imagine que nous allons rentrer dans un conflit armé. La dissuasion ne peut donc être que sur la question économique.

Il peut y avoir une tentation, comme vous l’avez-vous-même appelée, nationaliste, d’aller chercher un certain nombre de sentiment, dans une population. Cela existe partout. Et pas simplement en Russie. Convenons-en. Qu’est-ce qui, à moyen terme, est l’élément d’appréciation ? C’est de savoir ce que va représenter cette tension comme charge pour une économie. Et c’est ce que nous devons ici évaluer.

C’est le rôle qui a été donné à la Commission de préparer des mesures ciblées, pour qu’elles soient les plus efficaces possibles. Mais dans une dissuasion, on préfère ne pas utiliser les armes dont on dispose. C’est le principe même de la dissuasion. Je pense donc que l’Union européenne a eu raison d’avoir cette échelle de décisions, de mesures et de sanctions, et de se tenir dans une logique de proportionnalité et de graduation.

Q - Sur quel secteur économique la Commission est-elle mandatée pour étudier des sanctions de phase 3 ? Y a-t-il un consensus entre les 28 sur ces secteurs ? Et dans l’hypothèse d’une nouvelle escalade de la Russie, faudra-t-il un nouveau Conseil européen pour les mettre en oeuvre ?

R - Je réponds tout de suite : oui, il faudra un nouveau Conseil européen. D’abord pour regarder les différents impacts que la Commission aura elle-même pu identifier, à travers le choix d’un certain nombre de mesures ciblées. Ensuite, quels sont les secteurs les plus importants, les plus stratégiques ? C’est ce sur quoi la Commission doit également travailler. Voilà ! Merci, beaucoup. Je suis désolé de ne pas pouvoir répondre à toutes vos questions. Mais vous avez une chance demain de pouvoir la poser ! Merci./.

(Source : site Internet de la présidence de la République)

Dernière modification : 26/03/2014

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